Salines

Les salines dans le Cotentin

Sur nos côtes, on a toujours utilisé la technique d’obtention du sel par chauffage de la saumure dans des récipients appropriés. Elle est très ancienne et remonte, au moins, au néolithique final (vers 2400 à 1600 avant J.C.) et elle est attestée sur les côtes de la Manche, du Pas-de-Calais au Finistère, en Bretagne sud, Loire-Atlantique et jusqu’en Charente-Maritime. Pour la première fois dans notre département, un four de bouilleur de sel gaulois (Tène finale, 120 à 58 avant J.C.) a été découvert à Fermanville.

En raison du climat, on ne pouvait utiliser la technique des marais salants. A marée basse, lorsque l’évaporation avait asséché la grève, le saunier grattait la surface riche en sel et récupérait le sablon qu’il entassait sur des claies et formait les “mondains”. Les mondains étaient arrosés d’eau de mer et la saumure était recueillie dans des cuves. La saumure, versée dans des récipients appelés “plombs”, était chauffée sur des fourneaux à bois jusqu’à évaporation. Ce procédé consommait beaucoup de bois.


Racloir appelé “havet”

Le mot “vente” désigne les coupes de bois dans une forêt.


Intérieur d’une saline (Encyclopédie Diderot et d’Alembert)

Une saline était composée de trois éléments :

  • une portion de grève où se ramassait le sablon,
  • le mondrin où était accumulé le sablon recueilli en grève. Le sablon était arrosé d’eau et le liquide saturé de sel, appelé la bruine, était ensuite entraîné jusqu’à la saline,
  • la saline était une cabane ou hutte où s’activaient le boidrot et la boidrote qui faisaient bouillir la bruine dans des cuves de plomb, pour recueillir le sel produit par évaporation.

Le sel était soumis à l’impôt. La Normandie n’était pas un pays de gabelle : les sauniers de Normandie devaient bouillir une fois pour le roi quand ils avaient bouilli trois fois pour eux, d’où le nom de quart-bouillon donné à l’impôt sur le sel en Basse-Normandie.

Pour bouillir, il fallait l’autorisation du bureau des traites et quart-bouillon. Le nombre de plombs était limité à trois par saline et la quantité de saumure par plomb était limitée à 30 pintes (27,33 litres).

Le commerce du sel était strictement réglementé et la cession de sel entre usagers était formellement interdite. La quantité de sel, “tant pour pot et salière que pour grosses salaisons”, était fixée à une demi-ruche (50 livres pesant) par membre de la famille, y compris les enfants de plus de 8 ans. Chaque chef de famille était tenu de faire, en personne et au moins deux fois par an, sa provision et ne pouvait avoir chez lui plus de 25 livres par personne. Il devait, avant d’aller à la saline sur le rôle de laquelle il était inscrit, passer au bureau du fermier de l’impôt où on lui délivrait, après justification d’identité, de domicile et de situation de famille (certificat du curé), un passavant sur lequel était inscrit le nombre de personnes de la famille et la quantité de sel correspondante. Tout enlèvement collectif ou par des tiers était interdit et le voyage était obligatoirement fait de jour “entre deux soleils”.

La fraude du sel ou faux-saunage était assez courante : enlèvement de sel sans passavant, second enlèvement frauduleux avec le même passavant, poches de sel mêlées à des poches de sable, transport frauduleux du sel par des enfants, vol de sel dans les salines, voyages de nuit… Souvent les affaires de fraude se terminent par des transactions devant notaire, les contrevenants préférant payer une certaine somme pour arrêter les procédures et éviter de grosses amendes.

Le sel des salines soumises au quart-bouillon bénéficiait d’un monopole de vente le mettant à l’abri de la concurrence du sel de gabelle. L’impôt sur le sel fut supprimé par les décrets du 14 au 21 octobre 1790, et le droit de quart-bouillon fut supprimé à compter du 1er avril 1791. Le sel des salines de la Manche se  trouva alors concurrencé par celui, d’un prix moins élevé, des marais salants de Bretagne. L’impôt sur le sel fut rétabli par l’Empire. L’ordonnance royale du 18 juin 1816 réglementa la fabrication du sel “par l’action du feu”. Le nombre de salines fut strictement limité dans le  département de la Manche.

Les salines disparaissent vers 1865. Ils restent des traces de cette industrie dans la toponymie du département, comme Bricqueville-les-Salines, ancien nom de Bricqueville-sur-Mer, ou la saline à Équeurdreville-Hainneville.