La guerre de 39-45 à Morsalines
Portes Belges sur la plage de Morsalines en 1942 |
La Bettinerie
Petit hameau de la commune, traversé par l’actuelle RD 14, qui porte le nom des habitants qui logeaient dans les maisons de ce petit village.
Les familles Bettin donneront ce nom à ce lieu à partir du XVIIème siècle. De nos jours, il n’y a plus de famille Bettin à Morsalines.
Dans les années 1938-1939, avant la dernière guerre mondiale, la population de la Bettinerie était d’environ 20 personnes. Il faudra attendre les années 1950 avec la reconstruction, la restauration des maisons détruites pendant la guerre et l’arrivée de nouveaux habitants pour que le hameau retrouve une vingtaine de résidents.
La défaite de 1940 va changer beaucoup de choses : Les armées Allemandes s’installent à Morsalines et la parcelle de prairie (aujourd’hui coupée en deux) face à la maison Vautier (maintenant disparue) sera utilisée pour installer une maréchalerie, un dépôt vétérinaire pour soigner les chevaux et des baraques pour loger les ouvriers de l’organisation Todt (Prisonniers étrangers et requis du service de travail obligatoire).
La troupe réquisitionne toutes les résidences secondaires inoccupées ; ce n’est pas suffisant, le reste de cette compagnie loge chez l’habitant.
Après l’entrée en guerre des Etats-Unis contre l’Allemagne, l’état-major allemand décide de construire le mur de l’Atlantique. A partir de 1942, les Allemands vont installer l’artillerie dans les endroits stratégiques : pour Morsalines : aux Coisnets, à la Redoute, au presbytère ; pour Crasville : dans le secteur des Landes.
Pour construire ces défenses, il faut beaucoup de main-d’œuvre et beaucoup de matériaux (du sable, du gravier, de la ferraille et du ciment pour le béton des blockhaus). La main- d’œuvre sera fournie par les requis du STO (étrangers pour la plupart) logés dans les baraquements n°1 du schéma et des prisonnières russes, presque toutes Ukrainiennes, prises après l’attaque de la Russie par l’armée allemande en 1942 et logées dans les baraquements au n*2 ; à l’arrivée ces femmes étaient mal nourries, cela va s’améliorer un peu avec la construction des baraques de la cuisine (n*3) pour tous les travailleurs et de l’intendance (n*4) qui consomme surtout des pommes de terre. (Les femmes de la région seront réquisitionnées chaque jour pour les corvées de peluche).
Le sable et le gravier seront prélevés sur la lagune entre la mer et l’étang de Gattemare, chargés dans des camions, ils seront dirigés sur la gare de Gatteville où un quai de débarquement a été prévu à cet effet; les wagons chargés seront acheminés vers la gare de Morsalines et déchargés à la pelle par les prisonnières russes (plusieurs wagons par jour) sous la surveillance des soldats allemands de l’organisation Todt. Le ciment vient de la cimenterie du Ham, près de Montebourg, et il est stocké avec les bois de coffrage près de la gare.
Tout le travail de construction sera manuel, depuis les fouilles à la pelle et à la pioche ; un seul engin mécanique sera utilisé : la bétonneuse.
La population locale était aussi mise à contribution : tous les jours, deux à trois cultivateurs avec chevaux et tombereaux étaient réquisitionnés pour le transport des matériaux.
Sur le schéma, le n°5 représente la petite ferme de la Bettinerie : dans la nuit du 10 mai 1944, elle fut pratiquement détruite par les bombes, sauf le hangar en bordure de la D14. Les deux occupants, Mme et Mr Peltier, ayant entendu le bruit des avions, traversèrent la route pour se réfugier dans l’abri en face de leur habitation. Ils ne purent gagner cette tranchée et subirent tout le bombardement couchés dans le fossé, et là, durant ce calvaire, ils firent le vœu s’ils en sortaient vivants, de faire ériger une statue de la vierge en signe de reconnaissance.
(Cette statue existe toujours, c’est le n°6 du schéma).
En n°7 Gabriel Fleury, agent des ponts et chaussée, trouva la mort dans le même bombardement, qui détruisit sa maison. (Ses restes furent retrouvés cinquante ans plus tard).
La maison carrée de Mr Vautrer (n°10) était occupée en totalité par les soldats de l’organisation Todt. A côté de cette maison, les occupants ont fait creuser et aménager une tranchée abri (n°9) réservée à la tant féminine que masculine. Le 10 mai 1944, au cours des bombardements de Morsalines, trois femmes russes, un français et un sujet russe du STO trouveront la mort.
Le n°12 est un hangar qui existe encore de nos jours ; c’est dans ce bâtiment que furent déposés provisoirement les corps des victimes du bombardement. Au n°11, figure le logement du jardinier qui a été évacué par ordonnance de Rommel à des fins militaires. (seul Gabriel Fleury refusa de partir).
En mai 1944, il ne reste plus que deux personnes à la Bettinerie, à part une grande quantité de requis du STO, les femmes russes dans leur camp et les soldats des troupes d’occupation.
Et arrive le 6 juin… Le poste d’observation des Arquets (près de l’actuel phare) est intact et l’officier de tir peut regarder, avec une certaine crainte, cette immense armada qui se déploie au large et qui attend le moment venu de lancer l’assaut.
Pour l’état-major allemand, cette vision de tous ces bateaux aura un effet immédiat : les ordres ne tardent pas. La main- d’œuvre de la Bettinerie va être évacuée :
vers les 4-5 heures du matin, tout le monde déménage avec bardas et bagages, direction Valognes par Octeville-l’Avenel, Saint-Martin d’Audouville…
La colonne arrive au carrefour de l’église Saint Martin, il est environ 7 heures ; tout à coup, les groupes de femmes russes et les STO vont se trouver en présence de parachutistes américains sortis rapidement des fossés où ils étaient embusqués ; les soldats de l’organisation Todt effrayés se rendent, l’officier qui les commande essaie de prendre son revolver, il est fauché par une rafale de mitraillette tirée par un para américain.
Tous les civils, femmes et hommes sont libérés immédiatement ; après avoir franchi le pont sur la Sinope, ils se dispersent dans la nature, on n’entendra plus parler d’eux. Que sont-ils devenus ? te 20 juin, Morsalines est libéré ,. à la Bettinerie, les époux Peltier ne vont pas rester seuls longtemps : le camp de barbelés va être occupé par les prisonniers allemands qui travaillent à Saint-Vaast au déchargement de bateaux américains amenant le matériel pour les troupes débarquées le 6 juin. (Ils quitteront Morsalines pour Foucarville où a été construit un camp pouvant accueillir 20000 prisonniers).
Il ne restait plus qu’à nettoyer : démolition du camp des femmes russes et des baraquements du STO (dont il ne reste que la grande dalle de béton) pour que La Bettinerie retrouve son visage d’avant-guerre.
Dès 1945, commence la période de déminage de la commune par une équipe de prisonniers allemands spécialisés dans ce genre de travail. L’enlèvement des mines durera près de deux ans et fera beaucoup de victimes parmi les démineurs. Le 4 décembre 1945, deux chefs démineurs sont morts en neutralisant les mines posées par l’armée Allemande pendant la guerre de 39-45.
Les Morsalinais (par souscription publique) édifièrent, à l’endroit où ce drame avait eu lieu, une stèle surmontée d’une croix.
Une plaque portant les noms de
Roger LEPOITTEVIN 33 ans.
Pierre BURNOUF 28 ans.
(Tous deux de la région de Cherbourg), rappelait le sacrifice de ces deux hommes, morts pour que d’autres ne meurent pas.
Plusieurs fois vandalisé, ce monument du souvenir, mérite d’être remis en état pour rendre hommage à ces deux courageux démineurs et garder leur mémoire.
A Crasville, en décembre 1945, les enfants des écoles, chantaient ces quelques phrases inspirées d’un drame (identique à celui de Morsalines) qu’ils venaient de vivre.
“Jean Marie Joseph PELLERIN a fait son devoir, son devoir de bon chef démineur jusqu’au bout et sa dernière parole fut adieu !”
Rappelons enfin que trois prisonniers Allemands, contraints de retirer les mines posées par leurs compatriotes, sont morts au lieu-dit “La Coquetterie” à Morsalines.
Friedrich KRUECKEBERG 25 ans, mort le 14 mai 1946,
Féodor KUHN 20 ans, mort le 23 mai 1946,
Heinz KUEHN 24 ans, mort le 23 mai 1946.
Les prisonniers allemands démineurs étaient logés à Quettehou dans l’ancienne colonie du Perron.
Aujourd’hui encore, malgré une opposition de plus en plus forte de la communauté internationale, les mines anti-personnelles font énormément de victimes civiles parmi lesquelles on compte beaucoup d’enfants.
En 2002, dans le bulletin municipal, fut présenté ce qui restait de la croix des démineurs, suite à du vandalisme.
Par décision du conseil municipal, une nouvelle plaque a été posée, sensiblement au même emplacement, afin de permettre à tous de garder le souvenir de deux hommes morts au service des autres.